TRANS – interview with Anne Lacaton

Interview with Anne Lacaton by Sara Sheri.

Published in Trans magazine, 34 – Youth.

Sara

Lors des critiques finales de votre studio, nous avons discuté du pouvoir de l’architecture dans une société guidée par le profit. C’est une question qui préoccupe et dérange beaucoup d’étudiants. Un certain sentiment d’impuissance est palpable. Certains plus que d’autres ne veulent cependant pas baisser les bras. C’est peut- être là la force de la jeunesse. Mais que se passe-t-il alors après l’usure et la désillusion? Vous avez évoqué la possibilité et la puissance de dire «non », que le plus tôt on s’opposerait à l’aliénation, le moins difficile il devient de le faire par la suite.

Anne

Quand on est jeune, on a une capacité d’indignation, de contestation et une forme d’insouciance qui poussent à réagir spontanément, sans mesure. C’est une force, une richesse. Il faut cultiver cette valeur, cette spontanéité et continuer à s’indigner, à ne pas être d’accord, à dire non (même s’il y a d’autres enjeux). Ce n’est pas une question de génération ou d’âge, mais d’éthique, de savoir ce que l’on veut, et surtout ce que l’on ne veut pas.

Dire non n’est pas une stratégie ni vraiment un calcul. C’est une réaction, qui nait du sentiment que ce n’est pas possible, que l’on ne peut pas accepter parce que c’est contraire à ce que l’on pense. Comment accepter de faire un projet de logements, par exemple, où il y a seulement la demande d’efficacité, en réponse à un marché? Un produit, sans aucune ambition ni intention, sur ce qu’il doit donner aux habitants. Ce n’est pas vraiment tenable et ça me pousse à réagir.

Le non d’un seul architecte ne pèse pas beaucoup pour un comman- ditaire, ou même à court terme pour changer les choses, mais il introduit un trouble, une gêne pour celui qui le reçoit.

On ne perd rien à dire non, ou ce que l’on perd finalement, ne vaut pas grand chose.

Mais le plus important est de rester en accord et en cohérence avec ses idées, sa philosophie.

On y gagne sa liberté.La désillusion ne peut pas exister, car il y a la curiosité et l’optimisme de savoir ce qui va se passer après. Ils excluent la désillusion.

Quand on est jeune, on doit se dire tous les jours qu’on est libre de ses pensées, qu’on est fort de son énergie, de son insouciance et que d’autres comptent sur nous. Il faut se dire que personne ne sera optimiste, généreux, courageux, inventif à notre place.

Quand on est jeune on peut croire qu’on a toutes les possibilités entre les mains et on a raison.

Ce n’est jamais plus facile, ni hier, ni plus tard, et l’avenir ce n’est pas demain, c’est tout de suite. Donc il n’y a pas à hésiter, ni avoir peur.


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